Le droit restreint des pilotes au secret médical

Jean LaRoche, FRAeS
Directeur de la recherche et du développement
Centre québécois de formation aéronautique

 

Depuis le désastre de l'Airbus de la Germanwings, délibérément écrasé dans les Alpes françaises, le secret médical des membres d'équipage est maintes fois remis en question sans tenir compte des particularités juridiques de l'aviation civile.

Le droit au secret médical appartient au patient. Non au médecin, au public ou à l'employeur. Le Code de déontologie des médecins définit trois conditions pour lever le secret médical à des tiers: lorsque le patient l'autorise, lorsque la loi l'autorise et lorsque le médecin a un doute raisonnable que la santé ou la sécurité du patient ou de son entourage est en danger. Il s'agit d'une discrétion professionnelle consentie au médecin.

Au Canada, le législateur a encadré le droit des pilotes au secret médical depuis longtemps. L'article 6.5 de la Loi autorisant le contrôle de l'aéronautique suspend le droit au secret médical des pilotes au bénéfice du ministre des Transports. Il s'agit d'une condition d'émission de la licence, peu importe laquelle : pilotes récréatifs, d'avions, d'hélicoptères, ou pilotes de ligne (dans le futur, pilotes de drones plus lourds que 25 kg), tous sont privés du droit au secret de leur dossier médical, et ce, rétroactivement depuis leur naissance jusqu'au moment où ils ne seront plus pilotes. Les tribunaux canadiens considèrent qu'il s'agit d'une atteinte raisonnable à la vie privée pour le bénéfice de la société.

La Loi sur l’aéronautique ordonne à tout détenteur d'une licence de pilote de divulguer à tout médecin ou optométriste son statut de pilote. Le pilote n'a pas à consentir à la divulgation de son dossier médical puisque la loi ordonne le consentement, à moins bien entendu que le pilote ne renonce à sa licence pour de bon.

Tout médecin ou optométriste qui a des motifs raisonnables de croire que son patient est titulaire d'une licence de pilote doit, s'il estime que son patient est susceptible de constituer un risque pour la sécurité aérienne, alerter le conseiller médical du ministre des Transports. Le langage clair utilisé dans la loi indique une obligation et non un choix personnel.

Afin de protéger les médecins et optométristes, la Loi sur l’aéronautique interdit toute "procédure judiciaire, disciplinaire ou autre" contre eux pour l'acte accompli de bonne foi auprès du ministre des Transports. La relation avec son patient risque de s'envenimer quelque peu, mais le médecin ne pourrait faire l'objet de représailles judiciaires de la part du patient, ou d'une mesure disciplinaire de la part de son ordre professionnel.

             

L'encadrement juridique du droit au secret médical peut-il être amélioré ? Comme toute loi prend de l'âge, pourrait-on envisager une mise à jour ?

D'abord, il s'agit d'un triangle Patient - Médecin - ministre des Transports qui exclut l'employeur. Si le médecin choisit de communiquer directement avec l'employeur, il le fait selon les termes de son code de déontologie comme pour tout autre patient et ne bénéficie pas de la protection de la Loi sur l'aéronautique. Le Ministère du Transport ne peut communiquer de détails médicaux à l'employeur.

Au moment d'écrire la Loi sur l’aéronautique, le législateur a cru bon de spécifier nommément les médecins et les optométristes. L'article 6.5 ne s'applique pas aux thérapeutes, travailleurs sociaux, dentistes, psychologues et pharmaciens. Quarante ans plus tard, demandons-nous si les pharmaciens ne devraient pas être forcés de divulguer la consommation par un pilote de narcotiques, anxiolytiques, somnifères ou antidépresseurs à Transports Canada, malgré que ces médicaments soient prescrits par un médecin.

Nul n'est censé ignorer la loi, mais la réalité est que fort peu de médecins et d'optométristes connaissent leur obligation de divulgation médicale envers le ministre des Transports, et encore moins avec qui communiquer. Ignorer la loi pourrait placer un médecin en situation difficile si un cas similaire à la Germanwings survenait au Canada. Les Collèges de médecins canadiens doivent s'assurer que leurs membres sont au courant de cette disposition de la loi.

Enfin, les pilotes n'étudient pas la loi. Ils étudient les règlements de l'air, les normes d'application et les procédures. Ce n'est qu'au moment de monter dans la hiérarchie administrative, de devenir inspecteur national, ou pilote vérificateur, qu'ils sont appelés à étudier le corps de la Loi sur l’aéronautique. Est-ce par ignorance de leur obligation, ou contraints par des conditions précaires de travail, certains pilotes pourraient être tentés de ne pas divulguer leur statut professionnel au moment de consulter un médecin ou un optométriste à l'extérieur des services médicaux de leur transporteur. Même le meilleur psychiatre ne peut lire dans la tête de son patient.

Le modèle canadien de sécurité aérienne, fondé sur la gestion des risques, demeure un exemple planétaire. Après la marche à pied, l'aviation représente le moyen de transporter des personnes le plus sécuritaire qui soit. Au Canada, les bonnes conditions de travail dans les transporteurs d'envergure, la présence de syndicats de pilotes, les plans d'assurances collectives et l'engagement hors-pair des médecins de l'aviation civile incitent les pilotes professionnels à protéger leur santé sans prendre des risques indus. Tous comprennent que la médecine est le partenaire essentiel d'une longue carrière. Voyager avec un transporteur canadien ou une compagnie alliée demeure un choix de toute quiétude.

 

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Jean LaRoche enseigne aux pilotes vérificateurs agréés canadiens, aux pilotes instructeurs et aux inspecteurs depuis plus de 30 années. Il est Fellow de la Royal Aeronautical Society pour ses travaux en facteurs humains, Prix Fecteau 2019 de l'AQTA et coauteur du test psychologique WOMBAT. Il peut être joint par courriel : jlaroche@cqfa.ca

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Fondé en 1968, le Centre québécois de formation aéronautique (CQFA) du Cégep de Chicoutimi est l'école nationale d'aéronautique du Ministère de l'Éducation et de l'Enseignement Supérieur du Québec. Depuis plus de trente ans, son département de formation continue installé à l'aéroport international Pierre-E Trudeau sert l'industrie aéronautique canadienne et internationale. www.cqfa.ca